Ma vie de Courgette (2016) * * * * *

Dire que le cinéma suisse est moribond est un euphémisme. Niveau cinéastes actuels, seule Ursula Meier sort du lot et a une carrière internationale. Pour le prestige, on peut citer Jean-Luc Goddard, mais ses films sont si abscons que le plus obscur film de David Lynch est simpliste en comparaison.

 

Courgette, avec son cerf-volant symbolisant son papa parti « avec une poule »…

En 2017, 93 films ont été produits, 27 fictions et 66 documentaires. Mais qui peut en citer un seul ? Parce que si l’on met de coté Les faiseurs de Suisses (1978), A vos marques, prêts, Charlie ! (2003), Grounding (2005), Les mamies ne font pas dans la dentelle (2006), Home (2008), Win Win (2012) ou la nouvelle version d’Heidi (2015), on ne peut pas dire qu’ils ont eu un gros succès où ont marqué les esprits.

 

Et voilà qu’un petit miracle, Ma vie de Courgette sort sur les écrans en 2016, un film comme nul autre, qui laisse les critiques et le public bouche bée, car personne ne s’attendait à un film aussi brillant et touchant.

 

Icare, appelé Courgette par sa mère, a 9 ans et vit seul avec elle. Son père est parti « avec une poule » et sa mère, alcoolique, le punit à la moindre occasion. Icare ayant fait du bruit, sa mère vient pour le battre, mais en se protégeant, sa mère tombe dans l’escalier et se tue.

 

Au commissariat, il fait la connaissance de Raymond, un policier. Lors de la déposition, Icare demande à être appelé Courgette, comme le faisait sa mère. Son père étant parti (il l’a dessiné sur un cerf-volant qu’il ne quitte jamais) et sa mère étant morte, Raymond décide de l’emmener dans un orphelinat, en lui promettant de venir lui rendre visite régulièrement.

 

A l’orphelinat, il rencontre d’autres enfants, qui ont tous eu de gros problèmes. Les débuts avec Simon, la forte tête de l’orphelinat sont difficiles, Simon se moquant de son nom et le provoquant.

 

Courgette, plutôt timide, ne dit rien jusqu’au jour où Simon lui vole son cerf-volant. Courgette se bat avec lui pour le reprendre. C’est à partir de là qu’il se lie d’amitié avec lui et ses camarades et va apprendre (grâce à Simon) ce qui leur est arrivé.

 

Les parents de Simon sont toxicomanes, le père d’Ahmed est en prison pour hold-up, la mère de Béatrice expulsée, la mère de Jujube souffre de graves tocs et Alice a été victime de son père pédophile. Et pour Camille, qui arrivera plus tard, son père a tué sa mère avant de se suicider… sous ses yeux ! Oui, tous ces enfants ont vécu des choses terribles, et cela se retrouve dans leur comportement, comme Béatrice, qui court vers la porte en criant « maman ! » chaque fois qu’elle entend le vrombissement d’une voiture, Jujube, qui mange du dentifrice ou Ahmed, qui fait pipi au lit.

 

Mais, même si ces enfants sont déjà cabossés par la vie et ont été maltraités, ils apprennent à se reconstruire, se soutenir les uns les autres, reprendre confiance, voir rire et s’amuser comme n’importe quel enfant.

 

Camille et sa méchante tante…

Et le film le traite de manière très subtile, avec finesse et sans tomber dans le pathos. Il y a plein de petites idées, comme le tableau « la météo des enfants », afin de connaître leur humeur du jour, ou leur entraide lorsqu’ils ont des problèmes.

 

On peut le voir à travers Camille, dont Courgette va tomber amoureux. Sa tante, méchante et vénale, tente de la récupérer « juste pour le fric », mais Courgette et ses camarades vont tout faire pour que Camille reste.

 

Quant à Raymond, il va tenir sa promesse et venir souvent rendre visite à Courgette. Il lui raconte souvent sa vie à l’orphelinat en lui écrivant des lettres et lui envoyant des dessins quand ils ne se voient pas.

 

Il y a 3 adultes qui travaillent à l’Orphelinat. Mme Papineau, la directrice, Monsieur Paul, leur professeur et sa collègue Rosie. Ils sont en couple, et lorsque Rosy tombe enceinte, les enfants se demandent comment on fait des bébés.

 

C’est une scène assez drôle, car ils en arrivent à la conclusion que pour faire des bébés, les femmes transpirent beaucoup et les hommes ont le zizi qui explose !!!

 

Il y plein d’autres anecdotes, drôles, tristes ou émouvantes, mais je préfère vous laissez la surprise en regardant ce film. Les personnages sont attachants, et Ma vie de Courgette, est fait avec délicatesse et tourné vers un avenir meilleur après les malheurs qu’ils ont vécu et subi.

 

De gauche à droite: Ahmed, Jujube, Béatrice, Alice, Camille, Courgette et Simon

 

Claude Barras et Céline Sciamma aux Césars 2017

Ma vie de Courgette est adapté du roman Autobiographie d’une Courgette de Gilles Paris. C’est un livre destiné à un public de jeunes adultes, voir adulte, de par son ton. Le réalisateur Claude Barras, ayant réalisé de nombreux courts-métrages d’animation, décide de l’adapter, de faire un film « en hommage à tous les enfants maltraités qui survivent tant bien que mal à leurs blessures ».

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Il désire que le film n’aie plus le coté épisodique du roman, réduit le nombre de personnages (pour plus s’attacher aux personnages et également pour une raison de coût) et, malgré la dureté du roman, créer un film «pour les enfants, qui leur parle de la maltraitance et de ses remèdes.»

 

Il va demander à Céline Sciamma, d’adapter le roman. Ayant réalisé Tomboy, elle avait tout à fait les compétences requises le faire (d’où le César 2017 de la meilleure adaptation). Claude Barras veut faire un film en stop-motion, comme les Wallace et Gromit. La préproduction durera près de 2 ans, notamment pour créer les personnages et faciliter le travail des animateurs.

 

Néanmoins, cela reste un énorme travail. Avec 24 images par seconde, un animateur faisait environ 4 secondes par jour. Ayant en 10 et 15 plateaux différents, la production pouvait produire entre 2 et 3 minutes par semaine.

 

 

 

 

 

 

 

Quand je dis film suisse, je devrais plutôt dire production helvético-française. En effet, pour financer Ma vie de Courgette, Claude Barras ne trouva pas tout le financement en Suisse, et dû également se tourner vers la France. Doté à la base d’un budget de 5,3 millions d’euros, Ma vie de Courgette coûtera finalement 6,6 millions (dû en partie à l’inexpérience d’une production à grande échelle).

 

Le résultat ? Visuellement, c’est superbe. L’animation est fluide, c’est mignon et coloré. Ayant enregistré les voix des personnages avant les prises de vue, les voix et l’animation sont parfaitement synchronisées. Le fait que les personnages aient de grands visages permet de mieux faire passer leurs émotions. Et même l’ambiance du film change, si le début est terne et sombre, dès l’arrivée de Courgette à l’orphelinat, tout devient plus « accueillant ». Techniquement, rien à redire, le valaisan Claude Barras et son équipe ont fait un excellent boulot. Et même si le film est court (1h06), tout est là, cela ne sert à rien d’en mettre plus, avec un final émouvant.

 

 

Lors de sa sortie, Ma vie de Courgette a été une révélation. Personne ne l’attendait, mais il reçu un excellent accueil tant critique que public. C’était du jamais vu, bien loin des standards habituels. Et Ma vie de Courgette s’est même permis le luxe d’être bénéficiaire par sa seule exploitation en salle, alors que généralement, ce genre de production devient bénéficiaire ou arrive à l’équilibre grâce aux festivals et aux sorties dvd/bluray/vod.

 

L’amitié entre Courgette et Raymond est touchante…

Ma vie de Courgette a reçu 12 prix et 15 nominations, il est effectivement excellent, mais il n’est pas parfait. Déjà, l’esthétique risque de ne pas plaire à tout le monde. Cela peut être clivant pour certains, ceux qui ne jurent que par les films Disney, mais personnellement, passé la surprise du début, cela ne m’a pas rebuté.

 

Ensuite, la musique. Rien à redire pour Sophie Hunger ou la reprise acoustique de Le vent nous portera de Noir Désir. Mais pourquoi, lorsqu’ils partent à la montagne en sport d’hiver, lors de la boum du soir, les enfants dancent sur Eisbar de Grauzone ? Ce choix est inadapté et ne colle pas à la scène, Grauzone était un groupe de new wave /punk avec un certain Stephan Eicher.

 

Enfin, même si Claude Barras déclare avoir fait un film pour les enfants et que l’esthétique du film va dans ce sens, il est selon moi plus adapté pour les adultes et adolescents. Quand Simon dit « Nous, on a plus personne pour nous aimer ! », vous croyez qu’un enfant de moins de 10 ans va comprendre le film ? Selon moi, 10 ans est l’âge minimal pour le regarder et l’apprécier.

 

Ma vie de Courgette est à ce jour le film suisse au parcours le plus exceptionnel du monde et prouve que le cinéma suisse n’est pas réservé à un public de niche. Concernant Claude Barras, il travaille de nouveau sur un film d’animation, un long-métrage qui traitera de la déforestation sur l’île de Bornéo, en Indonésie avec une petite fille et un orang-outan. On a hâte de le voir.

 

Préparez vos mouchoirs…

Pour conclure, Ma vie de Courgette est, malgré son scénario dur, un petit bijou d’émotion, d’intelligence et de réalité. Très bien réalisé et loin des standards américains. Les malheurs de chacun sont derrière eux, il prône l’empathie, la camaraderie, le partage, la tolérance, le tout avec beaucoup d’humanité, de délicatesse et de subtilité.

 

Les personnages sont attachants et émouvants, il sera difficile de ne pas verser une larme à la fin, mais une larme pleine d’émotion, pas de tristesse. Il est court (1h06)), mais complet, rien ne manque.

 

N’hésitez pas à le voir, mais si vous êtes en compagnie d’enfants, je le conseille à partir de 10 ans. Un film d’animation comme nul autre, une petite perle au milieu de toutes ces productions ultra-formatées plus intéressées par la vente de jouets.

 

Hidalgo

 

 

Extraits vidéos :

 

bande annonce (fr)

Extrait: discussion entre Courgette et Raymond et l’arrivée de Camille

 

Ma vie de Courgette

 

 

Sortie:                         2016

Durée:                         66 minutes

Genre:                         animation / drame

 

Pays:                           Suisse/France

 

Réalisation:                 Claude Barras

Production:                  Marc Bonny, Armelle Glorennec, Pauline Gygax, Max Karli, Michel Merkt

Distribution:                 Gebeka Films

Scénario:                     Céline Sciamma, Germano Zullo, Claude Barras et Morgan Navarro, d’après le roman Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris

Musique:                      Sophie Hunger

 

Acteurs principaux (voix fr) :              Gaspard Schlatter (Courgette), Sixtine Murat (Camille), Paulin Jaccoud (Simon), Michel Vuillermoz (Raymond)

 

Budget:                                                 6’600’000 $

Recettes mondiales (hors festivals) : 10’245’743 $

 

Récompenses :

 

Oscars 2017

Nominé comme meilleur film d’animation

 

Festival international du film d’animation d’Annecy 2016

Cristal du long métrage et le prix du public

 

Festival du film francophone d’Angoulême 2016 :

Valois de diamant

 

Festival international du film de Saint-Sébastien 2016

Meilleur film européen

 

Festival international du film francophone de Namur 2016

Bayard d’or de la meilleure photographie

Prix du cinéma européen du meilleur film d’animation 2016

 

Prix Lumières 2017 :

Meilleur film d’animation

Meilleur scénario

 

Césars 2017 :

Meilleur film d’animation

Meilleure adaptation

 

Prix du cinéma suisse – Quartz 2017 :

Meilleur film de fiction

Meilleure musique de film

Prix spécial pour le casting des voix et la direction d’acteurs

Emile Awards:

Meilleur film

Meilleur scénario

Meilleure création sonore

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